vendredi 2 septembre 2016

Eveil et ignorance peuvent-ils cohabiter ?

Lumière et ténèbres peuvent-elles coexister ?


Selon le Védânta, l'éveil anéanti toute expérience, sans exception. Tant que l'on expérimente quelque chose, un monde ou un état, c'est que l'ignorance n'a pas été éradiquée par la connaissance. Eveil et expérience sont aussi incompatibles que lumière et ténèbres.

Mais à l'intérieur du Védânta lui-même, il y a une exception : Dieu. Dieu connait le monde et donc l'illusion, mais sans en être dupe. Chez lui, l'éveil cohabite avec l'expérience du monde, il n'y a pas d'ignorance, et pourtant il y a une sorte de dualité. Dieu est une sorte de personne. Pourtant, nul n'irait dire qu'il est victime de l'ignorance.

Dès lors, le Védânta se trouve face à un dilemme :
- soit admettre l'existence de Dieu, mais alors la doctrine de l'incompatibilité de la connaissance non-duelle et de la dualité doit être remise en question. Être éveillé, avoir la connaissance, n'équivaut pas forcément à la cessation de toute expérience. Il y aurait plutôt deux familles d'expérience : l'expérience dominée par l'ignorance, elle l'expérience illuminée par la connaissance. C'est la voie explorée par la Reconnaissance, par le tantrisme. Mais le Védânta ne peut aller trop loin dans cette direction, sous peine de renoncer à sa vertu cardinale : le renoncement.
- soit n'admettre aucune exception à la loi de l'incompatibilité entre connaissance et ignorance. Mais alors, Diue est ignorant comme n'importe quelle créature. En clair, Dieu n'existe pas. C'est la voie choisie par le Yoga selon Vasishta, selon qui "Dieu" n'est qu'un être plus sage que les autres, un borgne au pays des aveugles. Le Védânta ne peut admettre pleinement cette option, sous peine de perdre tout lien avec l'hindouisme. 

Cette tension insoluble est l'un des moteurs du Védânta. Bien des solutions ont été formulées, sans rien de définitif ni de concluant. Pendant longtemps, cela à nourrit le Védânta. Mais cette attitude ouverte, au début, a finit par montrer ces limites. A partir du XVè siècle, en gros, le Védânta a été de moins en moins créatif, il n'y a eu que des synthèses et d'ultime tentatives de clarification, mais sans progrès.
Un cas typique est Madhousoudana Sarasvati, un sage de Bénarès au XVIIè siècle. Il sentait la profondeur de la vérité du Védânta : "Je suis l'Immense". Mais il sentait aussi la beauté de l'amour divin (bhakti), qui suppose une dualité entre l'adorateur et l'adoré, une existence personnelle, et il finit par avouer que l'amour est plus vaste, sans jamais vraiment parvenir à un équilibre. 

Je pense que la Reconnaissance offre un éventail d'approches plus complet, plus riche sur le plan humain, plus aboutit, tout en célébrant le mystère avec énergie et innocence. Selon la Reconnaissance, l'Eveil n'est pas la disparition de la dualité, mais sa manifestation sur fond d'unité, de conscience, de Dieu, etc. comme on voudra l'appeler. Connaissance et ignorance sont compatibles : c'est le jeu de la conscience. La connaissance ne détruit pas l'ignorance, elle la resitue sur fond de connaissance. La lumière ne détruit pas les ténèbres, elle les éclaire et les glorifie, tout en se glorifiant en elles.

En tous les cas, faire dialoguer Védânta et Reconnaissance (un dialogue qui n'a jamais eu lieu par le passé) 
est passionnant et enrichissant. 

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